Approches méthodologiques / didactiques

Les caractéristiques de l'acte lexique

La lecture de textes est une activité cognitive très complexe qui nécessite :

  • d'une part la connaissance du code (alphabétique dans nos pays) et des combinaisons grapho-phonétiques qui permettent de déchiffrer et d'oraliser les signes écrits ;
  • d'autre part, la traduction personnelle du sens contenu par le message envoyé par l'auteur du texte.

Cette recherche de la compréhension sollicite des  préalables et active de nombreux processus :

  • En préalable, il s'agit d'avoir une représentation positive de la lecture : il est intéressant de constater que certains estiment que c'est une activité réservée aux " intellos ", aux filles, aux asociaux (sic !) et pas une source d'informations utiles ou de plaisir. Il est important aussi d'avoir compris que le lecteur est le récepteur d'un acte de communication et que dès lors son projet est de rechercher la signification du message que lui envoie l'auteur. Beaucoup de mauvais lecteurs ont un projet inadéquat vis-a-vis de la lecture : ils ont compris qu'il s'agissait simplement d'oraliser ou de mémoriser le texte et l'abordent sans aucun projet de sens. Un autre préalable est une connaissance suffisante de la langue écrite et des particularités du type de texte abordé.
  • Quant aux processus cognitifs sollicités, ils sont multiples, mais on peut en focaliser quelques-uns en les mettant en rapport avec les gestes mentaux décrits par la gestion mentale :
  • Le repérage des indices de sens signifiants : le bon lecteur apprend à traiter tous les indices de sens pertinents dans un texte, il exerce donc là le geste d'attention. Un mauvais lecteur, au contraire triera quelques mots connus (souvent des noms ou des verbes, au mépris des "petits mots " jouant souvent un rôle de connecteurs ou de substituts), mais négligera tous les mots inconnus, les signes de ponctuation, les indications données par l'organisation structurelle du texte (paragraphes, titres, sous-titres, mots d'articulation, etc.). Il s'agit d'apprendre à " tamiser" beaucoup plus fin.
  • A partir de ce repérage, doit se faire une mise en liens constante :

- entre les éléments du texte proches ou lointains (de la, la nécessité de la mémorisation en lecture)
- entre les éléments du texte et des éléments extérieurs au texte (connaissances de la vie ou acquis culturels)
Cette mise en liens peut se faire automatiquement ou nécessiter un travail conscient de rapprochement, puis de déduction qu'on appelle l'inférence. Le lecteur est plongé alors dans un travail de réflexion. L'inférence crée un réseau entre les connaissances, réseau qui est une des caractéristiques  essentielles de la compréhension, mais aussi de la culture.

  • La mise en liens permet d'élaborer des hypothèses de sens qu'il faudra valider ou non par la suite de la lecture. Le lecteur avance dans le texte en ayant le souci de vérifier ses hypothèses. Il lui faudra donc solliciter sa compréhension et son imagination pour risquer des hypothèses, mais aussi être à même d'y renoncer si un élément nouveau vient les contredire. Cela demande à la fois de l'audace, de la rigueur et de la souplesse mentale.

On le voir, le lecteur est éminemment actif : c'est lui qui comprend ("prend avec" lui) le texte. Mais, selon le cas, il va avoir le souci d'une compréhension fidèle à l'intention de l'auteur ou il se donnera la liberté d'une interprétation plus personnelle. Cela dépendra du type de texte (le poème nous incite plus a l'interprétation qu'un théorème de mathématique) et il sera donc important de se familiariser avec différents types de textes en identifiant leur intention de communication. Mais cela dépendra aussi du style cognitif du lecteur, de son projet personnel. Un bon lecteur doit pouvoir combiner compréhension et interprétation.

L'élargissement du champ de la lecture

Cette activité cognitive complexe se déclenche lors de la lecture de textes, et se plie aux spécificités du texte (sa construction linéaire, tous les procédés de substitution qui en découlent, par exemple), mais on peut retrouver des processus cognitifs similaires dans la " lecture" d'autres types de supports : les images, la musique, la communication non verbale. Tout ensemble de signes auxquels nous voulons attribuer un sens.
Alberto Manguel, dans Une histoire de la lecture (Acte Sud, 1998, p.19 et 20) défend cette extension de sens du mot "lecture" : "Les  lecteurs de livres (.) développent et concentrent une fonction qui nous est commune à tous. (.) dans chacun des cas, c'est le lecteur qui lit le sens : c'est le lecteur qui accorde ou reconnaît à un objet, à un lieu, à un événement une certaine lisibilité ; il revient au lecteur d'attribuer une signification à un système de signes et puis de le déchiffrer. Tous, nous nous lisons nous-mêmes et  lisons le monde qui nous entoure afin d'apercevoir ce que nous sommes et ou nous nous trouvons. Nous lisons pour comprendre, ou pour commencer à comprendre. Nous ne pouvons que lire. Lire presque autant que respirer est notre fonction première. "
Si la lecture est un acte fondamental de recherche de sens, elle devient essentielle à la recherche identitaire d'un individu et si on peut l'élargir à d'autres supports que le texte, elle constituera une aide à la construction de soi.
Dans la perspective d'un projet éducatif, il est dès lors important de conjuguer la lecture de textes et d'autres types de lecture, en particulier la lecture d'images. En effet, les images sont partout présentes dans notre environnement (publicité, TV, cinéma, jeux vidéo, B.D., arts graphiques et plastiques, Internet.) ; elles constituent des groupes de signes attrayants, mais leur lecture ne fait l'objet d'aucun apprentissage et il existe autant de mauvais lecteurs d'images que de mauvais lecteurs de textes.

Un choix de textes judicieux

Il est important de travailler sur divers types de textes et d'apprendre a connaître les particularités structurelles de chacun.
Il est essentiel aussi de confronter les lecteurs avec des textes riches et de plus en plus "résistants ", afin de leur faire connaître le plaisir de la complexité, du paradoxe, de la polysémie. A condition d'établir une progression dans ces obstacles et de guider les élèves pour leur permettre de les sauter.
C'est cette nécessité qui a été reconnue par l'Education nationale en France ; celle-ci impose désormais l'approche de textes (ou albums) littéraires depuis l'école maternelle. Le texte littéraire est avant tout un jeu, volontairement piégé. Le plaisir de deviner et de déjouer ces pièges est intense. Or, depuis les années 80, la littérature jeunesse a véritablement explosé : non seulement en quantité (c'est le secteur de l'édition le plus florissant), mais aussi en qualité (certes, il existe des collections médiocres, mais de grands talents se mettent désormais au service de l'enfance). En outre, l'album (livre dans lequel les images sont inhérentes à la signification et à la structure et dans lequel images et textes sont complémentaires) offre une occasion unique de pratiquer la lecture d'images en alliance (et souvent en amont) de la lecture de textes. Une occasion unique aussi de découvrir la beauté des images en même temps que celle des mots. Il est vraiment souhaitable que les enseignants soient des connaisseurs de cette littérature.

Des rôles différents 

En tant que lecteurs, nous sommes récepteurs d'un message. Il est intéressant, pour être plus compétent dans ce rôle actif de récepteur, d'être à certains moments placés dans le rôle d'émetteur, plus créatif encore. C'est pourquoi, le va-et-vient entre la lecture et l'écriture est un excellent moyen d'affiner les deux activités. C'est possible dès la maternelle, grâce à la dictée à l'adulte : elle permet à l'enfant d'appréhender les différences entre le langage parlé et le langage écrit et constitue une excellente préparation à l'entrée dans la lecture.
Le rôle d'émetteur dévolu à l'écriture peut l'être valablement au dessin, à la musique, au théâtre, à l'expression corporelle.

Des lectures différentes

Il est intéressant d'alterner le type de lecture de textes : lecture silencieuse, seul, en groupe, mais aussi écoute d'une lecture orale faite par l'éducateur. Celui-ci fournit alors d'autres indices de sens, par ses intonations, ses pauses, ses commentaires éventuels.
Daniel Pennac a fait l'éloge de ce type de " lecture-cadeau" dans son livre  Comme un roman , éd. Gallimard, 1992. Il peut naître de ces séances un plaisir partagé qui réconcilie avec la lecture.

Le climat de travail

Si l'on veut que le lecteur soit personnellement en recherche de sens, pour se construire lui-même, il est essentiel que les activités de lecture se déroulent dans un climat ouvert, dans lequel chacun peut émettre ses hypothèses, être écouté, et avoir le droit à l'erreur, sans jugement de valeur sur la personne.
Il ne s'agit pas d'accepter toutes les hypothèses, mais de les valider par un retour au texte, une discussion, une négociation entre le respect dû au texte et le droit à l'interprétation.
Les séquences de travail doivent être plus importantes que les séances d'évaluation et leur aspect ludique doit contribuer a faire naître le plaisir de la lecture.

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